L'exposition
La sensibilité
Pour rappel, nous avons vu dans l’introduction que pour gérer l’exposition d’une image, un appareil de prise de vue peut jouer sur 3 paramètres :
- Le temps de pose.
- L’ouverture
- La sensibilité.
Dans cet article, nous allons nous intéresser à la sensibilité. Des 3 paramètres ci-dessus, celui-ci est le moins « intuitif ». Autant les 2 premiers font appel à des grandeurs que l’on rencontre tous les jours (un temps et un diamètre), autant la sensibilité se rapporte à l’électronique de la caméra ou de l’appareil photo.
S’il ne fallait retenir que cela :
La sensibilité est la capacité d’un capteur à amplifier son signal lorsqu’il ne reçoit plus assez de lumière. Elle se mesure en « ISO ». Cela permet de compenser une baisse de luminosité mais cela engendre une dégradation de l’image qui se charge de « grains » que l’on appelle le bruit.
Explications :
Pour mieux comprendre la sensibilité, faisons comme toujours une analogie avec la « bonne vieille » pellicule.
En argentique, le photographe peut choisir des films de différentes sensibilité (en fonction de la nature chimique du revêtement). Plus un film est sensible, plus il réagira à une même quantité de lumière. De même, un film plus sensible permettra d’obtenir une image correctement exposée en recevant une plus faible quantité de lumière. C’est pourquoi on utilise des pellicules peu sensibles en extérieur et des films nettement plus sensibles en intérieur (là où il y a moins de lumière).
Pendant longtemps, la sensibilité des pellicules était caractérisée par un nombre d’ASA. Un film 64 ou 100 ASA était peu sensible alors qu’une pellicule 400 ASA l’était beaucoup plus. Puis, l’organisme de standardisation international (International Standard Organization ou ISO) est venu mettre son nez dans cette norme. L’acronyme « ISO » a donc remplacé le signe « ASA ».
Le principe avec un appareil de prise de vue numérique est le même : on choisit une sensibilité plus élevée lorsque la lumière devient insuffisante. Heureusement, il n’est pas question ici de changer de capteur pour modifier la sensibilité. Tout se fera par le biais de l’électronique. Si vous avez lu l’article sur le capteur (je vous recommande de le faire avant de lire la suite de ces lignes), vous savez que celui-ci « transforme » les photons de la lumière en électrons. Et qu’une fois la prise de vue terminée, l’électronique de l’appareil convertit le nombre d’électrons en un signal électrique. Lorsque la lumière diminue, ce signal diminue dans les mêmes proportions, jusqu’à devenir trop faible pour être perçu par le processeur de l’appareil. Pour compenser cette diminution, le capteur peut décider (soit automatiquement, soit sur instruction du photographe) d’amplifier ce signal pour qu’il puisse à nouveau être perçu par le processeur. Multiplier le signal par 2 équivaut à doubler la sensibilité (par exemple passer de 100 à 200 ISO).
Dans les articles sur le temps de pose et l’ouverture, nous avons fait l’analogie avec un robinet. Pour remplir un verre gradué d’eau, on peut ouvrir plus ou moins le robinet (l’équivalent de l’ouverture) ou laisser couler l’eau plus ou moins longtemps (l’équivalent du temps de pose). Si pour une raison ou une autre l’arrivée d’eau est coupée, ouvrir le robinet en grand et laisser couler l’eau pendant longtemps ne permettra pas de remplir le récipient. S’il ne coule que quelques gouttes, nous n’arriverons pas à lire précisément la quantité d’eau présente dans le verre. Un moyen d’améliorer notre lecture serait d’utiliser une loupe. Il n’y aura pas plus d’eau, mais le fait de zoomer sur les graduations nous aidera à mieux lire. Utiliser une loupe qui grossit d’un facteur 2 correspondrait à doubler la sensibilité.
Mais alors c’est génial. Il suffit d’amplifier le signal autant que l’on veut pour compenser la baisse de lumière.
Comme souvent, la réalité est un peu plus complexe. Il faut savoir que tout composant électronique émet un « bruit ». Il ne s’agit bien entendu pas d’un son que l’on peut entendre mais d’un signal électrique. Même si ce dernier est très faible (plus ou moins selon la qualité de l’électronique composant l’appareil), il finira par devenir significatif lorsqu’il sera amplifié, au point de dégrader la qualité de l’image.
Pour mieux comprendre, prenons un exemple. Imaginons que nous dans un studio où nous pouvons contrôler l’éclairage, puis faisons une 1° photo en utilisant la sensibilité de base de notre appareil, c’est-à-dire 100 ISO. Intéressons-nous à un seul photosite du capteur. Celui-ci va émettre un signal de 1 millivolt (mV) qui correspondra par exemple à une luminosité de 200 sur l’échelle des niveaux de gris (qui s’étend de 0 à 254). Supposons que le bruit généré par l’électronique soit de 0.01 mV. Notre processeur recevra donc un signal de 1 + 0.01 = 1.01 mV. La différence est négligeable (1 %) et ne sera pas perceptible au niveau de la photo.
Divisons maintenant par 2 l’éclairage de notre studio. Notre photosite recevra logiquement 2 fois moins de lumière et émettra alors un signal de 0.5 mV. Pour compenser la baisse de luminosité, augmentons la sensibilité en la passant de 100 à 200 ISO (ce qui reviendra donc à multiplier le signal par 2).Le bruit étant toujours de 0.01 mV, processeur recevra (0.5 + 0.01) x 2 = 1.02 mV. La différence entre le signal standard et le signal bruité passe donc de 1 à 2 %.
Nous pouvons continuer ainsi autant de fois que nous le souhaitons. Plutôt que de répéter cet exemple plusieurs fois (et lasser mes fidèles lecteurs), j’ai résumé ce processus dans le tableau ci-dessous. Pour bien comprendre celui-ci, la 1° colonne représente la variation de luminosité. Si vous vous souvenez de l’article d’introduction, vous vous rappelez que diviser la luminosité par 2 signifie la réduire de 1 EV. Dans la 2° colonne on trouve la sensibilité nécessaire pour obtenir toujours la même exposition.

Cet exemple est très théorique. Les valeurs de signal et de bruit ont été déterminées de manière totalement arbitraire. De plus, le bruit n’est pas constant (il augmente par exemple avec la température). Mais on voit parfaitement qu’au fur et à mesure que la sensibilité augmente, la part du bruit dans le signal reçu par le capteur augmente également. A partir de 1600 ISO, son influence sur la qualité d’image est de plus de 10%, ce qui devient clairement visible.
Dans la pratique, on voit apparaitre sur l’image des pixels dont la couleur diffère fortement de celle des pixels voisins (en particulier dans les « aplats » de couleur sombre), comme s’il y avait des grains. Cela donne l’impression que l’image est « sale », comme le montre la photo ci-dessous. On dit qu’elle est « bruitée » (le bruit de l’électronique engendre un autre type de bruit sur l’image).
Heureusement, l’électronique fait des progrès limitant ainsi la dégradation de l’image lors des montées en ISO. De plus, les processeurs des appareils de prise de vue se dotent d’algorithmes permettant de réduire la dégradation de l’image. On parle de fonctions de réduction de bruit (noise reduction). Ceci étant, le résultat est très variable d’un appareil à l’autre. Souvent, l’algorithme va appliquer un lissage sur l’image. En diminuant la netteté, le bruit sera réduit, mais cela se traduira par une perte de détails. Il est également possible de réduire le bruit de l’image après la prise de vue à l’aide d’un logiciel de retouche.
Exemple de photos à différentes sensibilités:
La série ci-dessous montre 4 photos :
- La première a été prise en mode automatique en laissant l’appareil choisir les paramètres adaptés
- Sur la deuxième, tous les paramètres ont été laissés à l’identique, sauf la sensibilité qui a été divisé par 2. La photo est donc beaucoup plus sombre car la quantité de lumière reçue a bien évidemment été divisée par 2. Comme vous le savez maintenant, elle est sous exposée de 1 EV.
- Les 2 images suivantes sont la suite logique des premières, la sensibilité étant à chaque fois divisée par 2. L’image s’assombrit encore, au point que certaines zones sombres sont devenues totalement noires. La dernière est sous-exposée de 3 EV (23 = 2 x 2 x 2 = 8)




Cette deuxième série est l’inverse de la première. On retrouve notre photo de base correctement exposée, puis chaque image correspond à une sensibilité multipliée par 2. L’image s’éclaircit progressivement et les zones les plus lumineuses (en particulier le ciel) deviennent blanches.




On voit donc clairement l’impact de la sensibilité sur la lumière reçue par le capteur et sur l’exposition de la photo.
Les plages de sensibilité
Certains capteurs sont maintenant capables d’atteindre 100.000 voire 200.000 ISO, même si l’image devient difficilement exploitable à ces valeurs-là. Ceci dit, cela peut nous « sauver » dans les situations extrêmes et il vaut généralement mieux une mauvaise image que pas d’image du tout.
Il est difficile de fixer une limite à partir de laquelle les images sont trop bruitées, car les capteurs se comportent de manière très différente. Néanmoins, on s’attachera toujours lors de nos prises de vue à rester à la valeur ISO la plus basse possible (en général 100 ISO) et on évitera de dépasser ISO 1600.
Les limites du mode automatique : le bruit
Comme les 2 autres paramètres de prise de vue, la sensibilité peut être gérée de manière automatique par l’appareil. On risque cependant de voir monter la valeur ISO augmenter dès que la lumière baisse. La qualité de l’image s’en ressentira alors avec l’apparition du bruit évoquée plus haut.
La série de photos ci-dessous illustre l’impact de la sensibilité sur le résultat final. On voit clairement le bruit apparaître dans les zones sombres au fur et à mesure que la valeur ISO augmente.
On notera que ces images sont de fichiers Raw convertis en Jpag avec un logiciel de développement Les Jpeg directement issus de l’appareil sont moins bruités l’image perd en détails.
Sortir du mode automatique.
Comment faire pour limiter la montée en ISO ? On peut pour cela utiliser 2 options :
- Tous les appareils experts permettent de fixer la valeur ISO souhaitée, quel que soit le mode sélectionné (automatique, priorité vitesse / ouverture ou manuel). On peut alors choisir la valeur de sensibilité la plus faible requise par les conditions de prise de vue.
- Néanmoins, il est parfois commode de laisser l’appareil gérer la sensibilité. Certains appareils (plutôt haut de gamme) permettent de rester en mode ISO Auto mais de fixer la plage de sensibilité dans laquelle on souhaite rester.
- Encore plus rare, il existe un mode qui permet de rester à la valeur ISO mini, mais d’augmenter celle-ci si le temps de pose vient à dépasser une valeur donnée. Par exemple, il est possible de demander à l’appareil de rester à ISO 100 tant que le temps de pose est plus court que 1/50 s. Si la lumière baisse et exige un temps de pose plus long, l’appareil sera autorisé à augmenter la sensibilité pour rester à 1/50s et éviter le flou de bougé. Nous en parlerons plus précisément dans le prochain article concernant le triangle d’exposition
cas particulier : la vidéo
La vidéo est globalement moins sensible au bruit que la photo. En effet, le bruit se distribue de manière différente d’une image à l’autre. Lorsque les images d’un film défilent (à raison de 25 par seconde), notre cerveau n’a pas « le temps » de discerner les artefacts dus au bruit.
Nous comprenons maintenant l’intérêt qu’il y a à faire varier la sensibilité. Même cela se fait au détriment de la qualité d’image, cela permet de réaliser des prises de vue dans des conditions de faible luminosité.